Il y a quelques semaines, nous vous informions de l’actualité en Savoie où actuellement la colère gronde. En juin dernier, le conseil départemental de Haute Savoie a voté majoritairement pour la dissolution de la structure commune aux 2 Savoie. Des voix se sont vite élevées pour exprimer leur incompréhension mais aussi leur colère de voir un travail collaboratif de 40 ans mis au tapis.
Nous nous sommes entretenus avec Laurent Blondaz, président de Mouvement Région Savoie. Il nous parle de son mouvement, de son actualité mais aussi de sa vision du fonctionnement de la France.
MDN: Pouvez-vous vous présenter ainsi que votre mouvement?
Commençons par le Mouvement Sabaudia / MRS. Il s’agit du mouvement autonomiste “historique” en Savoie, puisqu’il existe depuis 50 ans. Il a été créé autour de 1972/73, au moment où se constituaient les régions françaises. A cette époque, l’administration d’Etat avait dans ses cartons le projet de Rhône-Alpes, repris grosso-modo de la « région de Lyon » créée en 1941 sous le régime de Vichy. Malheureusement, la proposition de région Savoie, bien qu’elle fut soutenue par une forte mobilisation populaire et par de nombreux élus, fut rejetée par l’Etat français.
Le MRS (Mouvement Région Savoie) n’a cessé depuis d’exister et d’être force de proposition pour obtenir plus d’autonomie et de démocratie au sein de nos politiques publiques. Nous cultivons des idées fédéralistes, en nous référant à des modèles qui ont fait leurs preuves : celui de la Suisse voisine, celui de l’Allemagne, mais encore celui des régions autonomes d’Italie telle que la vallée d’Aoste avec laquelle nous partageons de forts liens culturels.
Le MRS agit aussi pour faire vivre et faire reconnaître les riches facettes de la culture et de l’histoire de la Savoie.
Depuis 2017, avec la réforme des “méga régions”, qui s’est traduite pour nous par une plus grande dilution de nos politiques publiques dans ce que nous appelons le « méga machin Auvergne Rhône-Alpes », l’administration française a repoussé très loin la possibilité de réussite de notre objectif initial. Le mot “région” qui portait initialement un idéal fédéraliste, est aujourd’hui compris comme l’a défini la loi : une entité technocratique inefficace et vidée de sa consistance culturelle. Pour cette raison, nous avons évolué vers une nouvelle appellation, le mouvement Sabaudia, sans pour autant faire un trait sur le long héritage de militance que porte notre formation.
En ce qui me concerne, je milite au sein de ce mouvement depuis plus d’une dizaine d’années. J’en suis le président depuis 2017. Nos détracteurs veulent faire croire que le régionalisme est un repli sur soi. C’est en fait tout le contraire : c’est au contact d’autres cultures, à l’occasion de voyages au sein de l’Europe, que je me suis rendu compte, qu’en France, on inculquait le dénigrement des cultures régionales. Chacun a le droit d’être fier de là où il vient et de s’ouvrir à son histoire. Et en ce qui concerne la Savoie, cette richesse culturelle est exceptionnelle. Être fier de son territoire est une condition première pour avoir envie de s’y impliquer dans un esprit collectif et citoyen. Il y a là un enjeu démocratique important. C’est aussi une manière de développer sereinement le meilleur de son identité, dans un esprit d’échange et de respect d’autrui. Dans ce cheminement de pensée, j’ai écrit le livre “Savoie, des questions qui dérangent”, sorti en 2022, publié chez Yoran, un éditeur breton spécialiste de la littérature autonomiste.
MDN: Quels intérêts ont été avancés par les partisans de la disparition du Conseil Savoie Mont-Blanc?
Je tiens tout d’abord à dire combien les membres du Mouvement Sabaudia MRS sont indignés par cette dissolution, décidée unilatéralement en 2022 par le conseil départemental de Haute-Savoie, sans aucune consultation des populations concernées. Promoteur de la coopération bi-départenentale entre les deux départements 73 et 74 , le MRS a à l’inverse été l’inspirateur de l’Entente Régionale de Savoie en 1983, devenue l’Assemblée des Pays de Savoie en 2001, puis Conseil Savoie Mont Blanc en 2016.
Pour ce qui est des “intérêts avancés”, on a, à vrai dire, du mal à comprendre. Pourquoi mettre en pièce ce très utile outil de coopération savoyarde ? Tout cela est très obscur. Il faudrait poser la question aux intéressés… Mais je doute qu’ils vous répondent. Le sujet n’a guère été abordé par la presse. Malheureusement, deux rédacteurs de médias m’ont confié avoir des pressions pour ne pas en parler. Les chantages sur les budgets de communication apportés par les collectivités et les petites annonces légales sont malheureusement une pratique que l’on aimerait savoir d’un autre temps.
“Personne ne nie l’indécent niveau de clientélisme politique mis en place au sein de la Haute Savoie”
Le département de la Haute-Savoie bénéficie tout particulièrement de ressources fiscales fortes, par sa vitalité économique, par sa position frontalière avec Genève, ainsi que par le boom immobilier qu’elle subit. Certains élus semblent vouloir en faire une chasse gardée, et distribuer les recettes fiscales comme bon leur semblent, et au profit évident de certains opérateurs économiques. Personne ne nie l’indécent niveau de clientélisme politique mis en place au sein de ce département. Une des conséquences est que des projets anachroniques, voire absurdes, émergent : la construction d’un vélodrome, l’équipement touristique du charmant et préservé plateau de Cenise, la construction d’une nouvelle autoroute à péage en Chablais, d’un échangeur payant en Genevois, etc… Tout cela se fait en dépit d’oppositions populaires ne pouvant s’appuyer malheureusement sur aucun dispositif de contre-pouvoir démocratique, ni sur la justice, tant elle est mal dotée dans notre territoire excentré.
MDN: Vous soutenez la pétition demandant la création d’une collectivité unique de Savoie. Quelles en sont les raisons ? Quels intérêts y voyez-vous ? Quel avenir voyez-vous pour la Savoie
Cette pétition, disponible à l’adresse http://change.org/uneSeuleSavoie , est un projet enthousiaste, lancé par trois personnes bien au fait du fonctionnement légistatif : Laurent Gruaz, Olivier Diebolt, François Ploton-Nicollet. Elle vient à point, d’une part parce qu’elle est l’occasion de montrer notre indignation vis-à-vis du peu d’égards que certains élus départementaux ont de la population savoyarde. D’autre part, la recentralisation opérée vers les grandes métropoles à travers ces trop grandes régions est aujourd’hui très contestée. Il est temps d’inverser le balancier. Le président Macron a exprimé récemment l’intention de rediviser Auvergne-Rhône-Alpes : le moment est venu de montrer toute l’utilité d’un projet pour une collectivité unique de Savoie. D’autres territoires comme la Corse ou l’Alsace ont déjà obtenu des avancées notoires en ce sens.
“Entre 73 et 74, nous avons presque tout en commun”
Entre 73 et 74, nous avons presque tout en commun : tourisme montagnard et lacustre, agriculture, université, histoire, culture, protection naturelle, relations frontalières, … ainsi que des très intéressantes complémentarités industrielles et économiques. Renforçons cette dynamique commune. Répondons aux nouveaux besoins liés à l’augmentation de la population. Le renforcement de l’offre de santé nécessite par exemple le développement d’un centre hospitalier universitaire qu’il sera plus facile d’obtenir au sein d’une entité administrative autonome. Idem dans le domaine des transports décarbonés, il y a beaucoup à faire.
Par ailleurs, nous devons articuler une organisation qui nous corresponde, autour de bassins de vie qui sont grosso-modo nos anciennes provinces savoisiennes. Vu de Lyon, qui sait où est la Maurienne ou le Chablais ? Soyons ambitieux et novateurs pour le meilleur des populations et de notre environnement.
MDN: Où en est le mouvement régionaliste en Savoie? Le sentiment d’appartenance des habitants à la Savoie est-il fort? Connaissent ils le problème lié au foncier comme peuvent le vivre les Corses, Basques ou encore les Bretons? Des mesures sont-elles prises pour lutter contre le problème.
Le mouvement régionaliste en Savoie est d’une surprenante vivacité. On aurait pu le croire mort. En effet, en cinquante ans de revendications pour une région Savoie et pour plus d’autonomie, l’administration française a toujours veillé à se montrer sourde et ne laisser paraître aucune réussite. Pourtant les avancées profondes dans la société sont là. La Savoie a gagné son université en 1979. En 2022, Chambéry est en tête du classement des villes étudiantes françaises où il fait bon étudier. Malgré les troubles politiques présents, les coopérations bi-départementales sont nombreuses et ne vont pas s’arrêter. Idem pour l’industrie : quand l’Etat ou les élus locaux se désengagent de tout (notamment la dissolution du pôle de compétitivité “Mont-Blanc Industries” en raison de l’arrêt de versement de la subvention régionale permettant son fonctionnement), l’écosystème économique savoyard rebondit malgré tout et trouve d’autres voies, avec une grande agilité.
Pour ce qui est de la culture savoisienne, il en est de même, on pourrait l’imaginer en voie de disparition, noyée dans une population néo-arrivante, en concurrence avec une culture consumériste basée sur l’argent, l’immobilier et les loisirs. Evidemment, il y a de tout cela. Mais la Savoie renvoie une image rassurante et résistante, quelque chose d’indestructible, à l’image de nos montagnes. Ceux qui viennent seulement “pour faire de l’argent” repartent assez vite quand ils ont compris toutes les contraintes du coût de la vie sur place, ou bien ils s’ouvrent à découvrir cette richesse immatérielle qu’est la Savoie, à travers non seulement sa nature, mais aussi sa culture et ses valeurs.
“Sur le sujet de l’immobilier, la situation de la Savoie est effectivement terrible “
Sur le sujet de l’immobilier, la situation de la Savoie est effectivement terrible : la cherté et de la disponibilité des logements est un gros problème, mais je suis aussi particulièrement choqué par l’injustice des droits de successions : beaucoup de familles se retrouvent spoliées de leurs biens simplement parce que certaines maisons de leur village ont été vendues à des prix exorbitants, prix qui deviennent la référence sur laquelle sont définies les bases fiscales. Contre cette crise de l’immobilier qui sévit depuis maintenant un quart de siècle, les politiques menées en France sont contre-productives : les lois récentes favorisent les constructions en se détachant désormais de toute considération d’intégration paysagère : on ne fait que maintenir la bulle immobilière sans apporter de régulation sur le nombre de résidences secondaires et de logements de frontaliers.
A l’image de l’activité militante entreprise en Corse, en Bretagne et maintenant au Pays Basque, le Mouvement Sabaudia MRS se fait force de propositions pour “mettre la pression contre la pression immobilière”. Nous appelons toutes les personnes sensibles à ce sujet à nous rejoindre.
MDN: Le professeur d’université Benjamin Morel dans son dernier ouvrage ‘la France en miettes” estime qu’aucun dirigeant politique avant Emmanuel Macron n’avait été aussi tolérant et ouvert aux revendications des mouvements régionalistes. Que pensez-vous de cette affirmation?
Benjamin Morel se fait le défenseur, je dirais même le “chien de garde”, d’une France hyper-centralisée.
C’est assez comique de dire qu’ Emmanuel Macron serait tolérant et ouvert aux revendications des mouvements régionalistes. Lors de son premier quinquennat, le président Marcon avait fait la surprenante annonce “d’un pacte girondin”, c’est-à-dire le développement de dispositifs fédéralistes… et nous n’avons rien vu venir. Lors des élections de 1974, François Mitterrand s’était engagé en faveur de la région Savoie. En 1981, il avait oublié et subitement, les murs de l’Elysée ne laissèrent plus passer les revendications des Savoyards. Nous ne sommes plus à une trahison près. Cependant, si la création d’une région Savoie fait l’objet de la prochaine réorganisation territoriale voulue par Emmanuel Marcon, nous saurons saluer cette grande avancée.
“Benjamin Morel a raison sur un point : “la France est en miettes”
Benjamin Morel a raison sur un point : “la France est en miettes”. Non pas par les revendications des régionalistes, c’est d’ailleurs nous donner bien de l’importance pour un fois ! Au contraire, elle se brise par sa rigidité uniformisatrice et appauvrissante qui la rend incapable de toute résilience. En 2019, le mouvement des gilets jaunes a montré tout le malaise “de la province”. Disons d’ailleurs que cela fait plus de deux cents ans que les provinces françaises et leurs cultures sont en miettes, sous une organisation jacobine initiée dans la Terreur et qui ne lègue que de très relatives avancées démocratiques, contrairement à ce qu’en disent les livres de l’Histoire de France.
La fronde lancée par les gilets jaunes n’a été aucunement réglée. Elle ne se règlera pas par de nouvelles crispations autoritaires et dominatrices autour de l’État centralisateur. Comment faire comprendre qu’une France diverse, faite de régions culturellement émancipées, serait une France forte et qu’à l’inverse, l’excès de centralisme est appauvrissant ?
Aujourd’hui, le système politique est à bout de souffle : l’abstention ne fait que croître d’élection en élection. L’engagement citoyen se fait de plus en plus rare aussi bien dans les conseils municipaux que dans les associations. A quoi bon s’engager d’ailleurs puisque le millefeuilles administratif noie toute initiative citoyenne ? L’emprise des lobbies, voire la corruption, s’accroissent sournoisement. Cette situation est grave.
S’il doit y avoir une transition forte vers plus de démocratie, il est illusoire de croire qu’elle se fera par la mise en place d’un RIC (référendum d’initiative citoyenne) au niveau national. L’Etat profond a trop à perdre. C’est en donnant de la souveraineté aux territoires et en leur donnant des outils de démocratie directe que cette transition démocratique peut s’opérer : une bonne manière de développer une culture démocratique en France. En tant que Savoyard, bien au fait du fonctionnement institutionnel de nos voisins helvétique, je mesure tous les progrès à faire en ce domaine !
La solution de sagesse serait de tendre vers cette idée jamais expérimentée en France, et qui donne pourtant d’excellents résultats chez nos voisins européens : le fédéralisme et le principe de subsidiarité. En d’autres mots : que les décisions soient prises tant que possible au plus proche et avec les citoyens, dans la simplicité et la transparence.
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Le miroir du Nord, 2023. Dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine