… Bien que les coquelicots fleurissent, dans les champs de Flandre. »
Découvrez le quatrième de notre série de cinq articles sur les personnages célèbres morts au combat ou dans l’exercice de leurs fonctions en Flandre-Artois-Hainaut pendant la Première Guerre mondiale. Reconnectez-vous au premier troisième article en suivant ce lien.
L’aube se lève sur l’année 1918. Des dizaines de milliers de croix s’alignent sur la terre nue de toute végétation. Les arbres ont disparu depuis bien longtemps, décapités par les obus ou abattus pour servir de matériau à l’édification et fortification des tranchées. Les villes de brique et de pierre ne sont plus qu’amas de débris. Bailleul n’existe plus. La Bassée et Mazinghien sont rasés. Le pays arrageois est quasiment rayé de la carte. Ainsi Feuchy n’est-il plus que ruine. Les soldats souffrent du froid et sont dévorés par les rats. La population civile, que nous n’avons pas encore évoquée, manque de tout, de nourriture en premier lieu. Les matières premières manquent à toutes les unités de production quand elles ne sont pas réquisitionnées par les forces allemandes qui stationnent encore sur une large partie du territoire coupé du reste de l’Hexagone. Flandre, Artois et Hainaut sont exsangues de plus de trois années d’un conflit qui semble éternellement s’agripper sans jamais vouloir lâche prise. Les hommes qui constituent les unités combattantes ne le savent pas encore. Mais ils inaugurent leur dernier mois de janvier en état de belligérance.
« In Flanders Fields, the poppies grow… » Vous êtes-vous déjà baladé sur les étendues herbacées d’un cimetière du Commonwealth ? Auquel cas vous n’avez pas pu ne pas remarquer les coquelicots de papier ou naturels qui fleurissent ça-et-là au pied des tombes. La présence du dicotylédone rouge trouve son origine dans le célèbre poème In Flanders fields, écrit par John McCrae, à l’occasion des funérailles d’un camarade de combat à Boezinge et publié en décembre 1915, dans l’hebdomadaire satirique britannique Punch avant d’être traduit en maintes langues et récité dans le monde entier. Le médecin-poète navigue vers l’Angleterre lorsqu’éclate la guerre. Les vacances envisagées prennent soudainement une tournure martiale. Engagé volontaire, John McCrae est versé à la 2ère brigade de l’Artillerie royale canadienne. Lieutenant-colonel du corps médical canadien, il se dépense sans compter pour ses compatriotes blessés pendant la deuxième bataille d’Ypres. Le médecin-poète est ensuite affecté au Troisième hôpital canadien établi dans le boulonnais, une unité médicale pouvant accueillir jusqu’à un millier de soldats. Mais la santé de John McCrae décline. Les poumons déjà meurtris par l’inhalation de gaz en Flandre aggravent sa nature asthmatique tandis que la dureté des conditions de vie quotidienne affaiblit dangereusement son immunité corporelle. Le médecin tombe malade en début d’année 1918. Le 28 janvier, il meurt d’une pneumonie, doublée d’une méningite, à l’hôpital militaire de Wimereux, à l’âge de 45 ans. Evidemment d’ascendance écossaise, John McCrae était né en 1872 en Ontario et exerçait la profession de médecin biologiste à Baltimore, aux Etats-Unis. Il était également chercheur à l’université McGill de Montréal.
Son père suit des cours à l’Académie de guerre de Prusse lorsque naît à Berlin Hans Joachim Buddeke en 1890. Il embrassera la carrière militaire comme le paternel. Seulement âgé de 14 ans, il intègre l’armée comme cadet et est promu lieutenant au sein du 115ème régiment d’infanterie dix ans plus tard. Mais Hans Joachim est las de la garnison et revient à la vie civile afin de s’adonner à sa nouvelle passion : l’aviation. Buddeke quitte bien plus que l’armée en réalité et part rejoindre son oncle, dans son usine automobile d’Indianapolis. L’émigré allemand pratique le vol à Chicago et convertit ses économies en un biplan. Fort de son expérience professionnelle dans l’industrie, Buddeke rentre en Allemagne et songe à la création d’une entreprise aéronautique. Mais la guerre fait s’envoler les rêves entrepreneuriaux de l’aviateur. Buddeke combat dans les airs dès septembre 1914 et se fait un nom au sein de la chasse allemande dont il est un pionnier. L’aviateur remporte ses premières victoires aériennes et donne la mort au frère du militaire et écrivain britannique T.E. Lawrence, plus connu sous le surnom de Lawrence d’Arabie. Envoyé dans l’Empire ottoman pour la poursuite de la guerre en 1916, Buddeke se distingue particulièrement dans les combats de Gallipoli où il gagne le surnom du « Faucon ». Il multiplie les allers-retours entre les fronts Est et Ouest et effectue plusieurs missions en Turquie. A la fin du premier trimestre 1918, Hans Joachim Buddeke prend de nouvelles fonctions en Artois. Mais l’aviateur maîtrise mal le secteur et est abattu par un appareil britannique dans le ciel de Lens le 10 mars. Il meurt à l’âge de 27 ans.
Titulaire du grade de sous-lieutenant, il est l’un des premiers officiers métis de l’armée britannique. Petit-fils d’un esclave de La Barbade, Walter Tull sert au sein du 23ème bataillon du Middlesex Regiment, dont la particularité est d’être composé uniquement de footballeurs professionnels. Le métis fait la guerre sur le front italien jusqu’en mars 1918 avant de remonter vers l’Artois. Le 25 mars, les combats font rage autour de Bapaume. Walter Tull trouve la mort à Favreuil à 29 ans. Son corps ne sera jamais retrouvé malgré la débauche d’énergie d’un camarade de tranchée, ancien gardien de Leicester City, pour rapatrier la dépouille de l’afro-caribéen dans ses lignes. La raison pour laquelle Walter Tull est soldat dans le régiment de footballeurs est qu’il tâta lui-même le cuir. Né à Folkestone en 1888, Walter devient footballeur professionnel est le troisième joueur noir à pratiquer son sport au sein de la première division anglaise. L’attaquant officie au Clapton F.C. avant de signer au prestigieux Tottenham Hotspur F.C. puis à Northampton Town F.C. 1917. Alors élève-officier en Ecosse, Walter Tull s’engage finalement aux Glasgow Rangers dont il devient le premier joueur de couleur noire.

Percy Clive naît en 1873 dans une famille aisée de propriétaires terriens dans l’Ouest de l’Angleterre qui compte dans ses rangs un ancien gouverneur du Bengale. Le fils de bonne famille suit l’un des parcours classiques depuis le collège d’Eton jusque l’Académie royale militaire de Sandhurst. Âgé de 18 ans, le jeune Percy est versé dans les Grenadier Guards. Capitaine en 1899, il combat à l’occasion de la seconde Guerre des Boers et sert toujours en Afrique du Sud lorsqu’il est choisi par le Parti libéral unioniste pour être candidat aux élections législatives de 1900 dans son comté natal du Herefordshire. Le soldat ne peut évidemment mener campagne mais aucune autre formation ne présente de candidat face à lui. Le soldat devient député. Percy Clive occupe son siège pour la première fois deux années après le début de son mandat, désormais qu’il est de retour du front mais blessé. Le député redevient soldat au début de la Grande guerre. Commandant de la 2ème compagnie du 2ème bataillon des Grenadier Guards, Percy Clive s’illustre à l’occasion d’une mission d’infiltration dans les lignes allemandes lors de laquelle Clive et ses hommes parviennent à s’emparer de documents importants renseignant bientôt les alliés sur le déploiement des troupes et matériels allemands. Pour cet acte de bravoure, le capitaine Clive est décoré de la Légion d’honneur par le général Joseph Joffre. Blessé en août 1915, Percy Clive rentre en Angleterre et reprend brièvement son siège de député pendant sa convalescence. Nullement désenchanté et traumatisé, il exhorte dans plusieurs discours la jeunesse britannique à participer à l’effort de guerre. De retour au front, Clive officie désormais en qualité de lieutenant-colonel, commandant du 7ème bataillon du régiment du Yorkshire oriental. Novembre 1916, Clive est de nouveau gravement blessé par balles. Nouvelle convalescence, nouvelle reprise de siège à la Chambre des Communes et nouveau retour au front bien que Clive souffre désormais d’une infirmité. Percy le député-boiteux commande désormais le 5ème bataillon du régiment de fusiliers du Lancashire. Le 5 avril, tandis qu’il porte assistance à un compatriote blessé près de Bucquoy, Percy Clive s’écroule. Il meurt à 45 ans et laisse cinq enfants orphelins de père.
Gommecourt, le 17 avril, un obus éclate et fauche le lieutenant-colonel Ronald Sanderson. Il servait au sein de la Royal Field Artillery. Né 42 ans plus tôt dans le Sussex, Sanderson pratique l’aviron et tient en cela de son révérend de père qui maniait déjà la rame à Trinity College, dépendant aussi de l’université de Cambridge qu’intègre aussi Ronald. Le sportif de Cambridge fait notamment partie de l’équipe de rameurs qui, en 1899, met un terme aux neuf années d’invincibilité en la discipline du grand rival d’Oxford. Cambridge triomphe de nouveau d’Oxford l’année suivante. Intégré pendant son service militaire à la Royal Horse Artillery, Sanderson guerroie en Afrique du Sud où il gagne le grade de lieutenant. De retour en Angleterre, il reprend sa carrière de sportif et participe aux Jeux olympiques de 1908 à Londres à l’occasion desquels Sanderson et ses sept coéquipiers montent sur la plus haute marche du podium et sont sacrés champions olympiques.
Esk est un minuscule bourg de l’Etat du Queensland en Australie. C’est dans une propriété isolée de cette zone reculée que naît, en 1891, Roderic Dallas, bientôt suivi par la naissance d’un frère cadet, Norvel. Le père travaille à la mine et parvient à subvenir aux besoins d’un foyer qui vit chichement mais ne manque de rien. Roderic rejoint à l’adolescence les cadets militaires au sein desquels il porte le grade de sergent. Lorsqu’il n’est pas à l’école, l’enfant explore les grands espaces environnant la maison familiale et a toujours le nez en l’air. Roderic se passionne en effet pour les rapaces. Il rêve surtout de voler. Intelligent et doué en sciences et techniques et dessin industriel, Roderic se met en tête de construire son propre planeur et reçoit le concours de son cadet. C’est un échec. Le planeur des frères Dallis se brise à l’occasion de son premier lancer. Membre d’un aéro-club, Roderic refuse de renoncer. Il volera et à peine imagine-t-il sa taille de 1,88 mètre et son poids de 101 kilos comme un handicap pour s’engouffrer dans les minuscules habitacles. Roderic Dallas gagne l’Angleterre après le déclenchement du conflit et s’engage dans le Royal Naval Air Service britannique l’été 1915. D’abord affecté dans une escadrille de triplans sur le front Ouest, le pilote australien excelle et prend bientôt le commandement d’un escadron deux ans plus tard. Le 1er juin 1918, Roderic Dallas vole en patrouille dans le ciel de Liévin lorsque son appareil est abattu. Il meurt à l’âge de 26 ans. L’as australien détient le second record de victoires aériennes de son pays.
Il est le premier soldat de nationalité canadienne à être récipiendaire de la médaille de la Croix de Victoria. Caporal au sein du 22ème bataillon du corps expéditionnaire canadien, Joseph Keable tombe en héros le soir du 8 juin dans les combats de Neuville-Vitasse. Un lourd barrage d’artillerie est immanquablement le prélude à un assaut. Il survient tandis que le jour décline. Une cinquantaine de fantassins allemands attaquent les positions tenues par le 22ème bataillon, en trois endroits, dont celle de la section de mitrailleuses dont Keable a le commandement. L’assaut ennemi est aussi fulgurant qu’efficace. De toute la section, seul le caporal est encore en état de combattre. Enfin presque…, Keable est en réalité écorché par plusieurs éclats d’obus. Malgré sa chair meurtrie, il vide chargeur sur chargeur jusqu’à stopper seul l’avance allemande. Keable s’effondre dans sa tranchée et trouve encore la force d’arroser de balles le repli ennemi. L’assaut allemand est un échec. Keable s’évanouit avant d’être transporté à l’hôpital du village dans lequel il décède la nuit suivante. Joseph Keable naît à Saint-Moïse, au Québec, 26 ans plus tôt, dans une famille de cultivateurs. L’enfant connaît une enfance ordinaire et occupe un emploi de chauffeur-mécanicien dans une scierie. 1916, Keable se porte volontaire pour le front et intègre le 189ème bataillon d’infanterie avant d’être versé au 22ème. Il survit aux terrible combat de Vimy et Passchendaele et rejoint le secteur de Neuville-Vitasse et Mercatel au mois de mars. Son dernier théâtre d’opération…

Aucune hésitation, ce sera l’armée ! James McCudden naît à Gillingham dans le Kent en 1895. Seulement âgé de 13 ans, le fils rejoint le père dans son unité du Royal Engineers. Le petit James maniera tout d’abord la trompette avant d’être accepté dans le Royal Flying Corps en 1913. Dans le corps aérien qu’il intègre, McCudden occupe un poste d’ajusteur-monteur avant d’être promu mécanicien de première classe quelques mois avant le déclenchement de la guerre. Celui que tout le monde surnomme sobrement « Mac » officie sur le sol français dès le début du conflit. Mac travaille consciencieusement et reçoit le grade de caporal. Mais la récompense ultime intervient au début de l’année 1915. Le trompettiste passé ajusteur et devenu mécanicien se voit honorer désormais de la fonction de mitrailleur-observateur sur biplan. Remarqué par son commandement, McCudden est promu sergent et repart en Angleterre afin d’être formé au pilotage. C’est un prodige qui virevolte dans les airs et le sergent Mac parvient même à devenir instructeur, sans même encore avoir officiellement reçu son brevet de pilote ! Il devient un as de l’aviation britannique qui enchaîne les missions entre le continent et le ciel londonien qu’il contribue à préserver des appareils ennemis. Le pilote enchaîne les combats et les victoires homologuées. 57 au total et Mac est reçu au sein de la plus prestigieuse formation de l’aviation britannique, en l’espèce, le 56ème escadron. Le 9 juillet, James McCudden reçoit l’ordre de rejoindre le village de Boffles, dans lequel stationne le Squadron 60. L’aviateur ne rejoindra jamais la nouvelle unité dans laquelle il vient d’être versé. McCudden décolle de Hounslow, dans la périphérie londonienne, et traverse la Manche par un temps épouvantable. L’officier parvient à atterrir non à Boffles comme il l’espérait mais à Auxi-le-Château. S’apercevant de son erreur, McCudden remet aussitôt les gaz mais le pilote est lâché par son moteur tandis qu’il est déjà haut de plusieurs dizaines de mètres. Le pilote s’écrase d’autant plus violemment que le vent est fort. James McCudden est extrait de son appareil et souffre d’une grave fracture du crâne. Il expire le soir même, sans avoir recouvré ses esprits, à l’âge de 23 ans. Ses deux autres pilotes de frères ne survivront pas non plus à la guerre.
Comme James McCudden, il servait dans le corps aérien. Indra Lal Roy n’a que 18 ans passés de six mois lorsqu’il incorpore le Royal Flying Corps. Promu sous-lieutenant, il poursuit sa formation au tir aérien, à Vendôme, en France avant de la terminer en Angleterre. Toujours comme l’aviateur de Gillingham, « Laddie » intègre la prestigieuse unité du Squadron 56. Le jeune pilote est encore peu expérimenté et se blesse à l’occasion d’un atterrissage loupé. Indra Lal Roy profite de son rétablissement pour imaginer les plans de nouveaux avions de combat. Combat que le sous-lieutenant reprend au sein du 40ème escadron aérien. Le pilote a appris de son inexpérience et mûri. Plus que cela, il soigne son tableau de chasse avec pas moins de dix victoires aériennes en seulement treize jours. La série victorieuse d’Indra Lal Roy prend fin le 22 juillet. Il n’est guère plus âgé que 19 ans lorsqu’il est abattu dans le ciel d’Estevelles tandis qu’il fait face à plusieurs appareils allemands. Indra Lal Roy naît à Calcutta, en Inde britannique, l’année 1898 et est issu d’une famille bourgeoise, composée de médecins et avocats, établie dans l’actuel Bangladesh. Dans une société coloniale très inégalitaire, seule la haute extraction sociale de la famille Lal Roy permit à Indra d’intégrer l’armée de l’air. Son grand frère Paresh servit, lui, au sein de l’artillerie et est surnommé le « père de la boxe indienne ».
Encore un aviateur… Edward Mannock naît à Cork, en Irlande, d’une mère catholique et d’un père protestant. Son enfance se passe à des milliers de kilomètres du conflit nationaliste et confessionnel qui couve encore. Aussi le jeune Edward passe-t-il son enfance en Inde. De retour en Grande-Bretagne, il choisit son camp : l’anglo-irlandais se veut un farouche partisan de l’autonomie de l’Irlande. En attendant le Home rule, Mannock continue de s’expatrier. Précisément dans l’Empire ottoman où il exerce la profession d’ingénieur en téléphonie. Lorsque la guerre éclate, le britannique se retrouve subitement coincé sur le territoire d’un Etat en belligérance avec sa patrie natale. Edward Mannock est fait prisonnier et victime de mauvais traitements au point que les ottomans considèrent qu’il est rendu inapte à tout service militaire. Le britannique peut donc être rapatrié chez lui en 1915. Mal en prend aux Ottomans, le jeune homme se ragaillardit. Mannock s’engage et intègre le Royal Army Medical Corps puis est versé dans une unité davantage conforme à sa formation professionnelle : le Corps of Royal Engineers. Mais l’ingénieur veut en découdre et parvient à être incorporé dans le Squadron 40 du Royal Flying Corps. L’aviateur peine à faire ses preuves la première année. Mais lorsqu’il remporte sa première victoire en mai 1917, plus rien ne semble devoir l’arrêter. 61 victoires plus tard, le capitaine commandant l’escadron 85 est l’as le plus capé de la chasse britannique. Le 26 juillet, Edward Mannock s’expose dangereusement au feu ennemi tandis qu’il survole Lestrem à basse altitude. Il meurt au combat à l’âge de 31 ans.

Très certainement Edward Mannock et George McElroy étaient-ils animés du même esprit. On ne triomphe pas sans courir de grands risques. Le 31 juillet, cinq jours après la mort de son ami et compatriote irlandais, George McElroy est tué dans les mêmes conditions d’un vol de combat à faible altitude, lui, dans le ciel de Laventie, situé à distance de vol d’oiseau du lieu du crash de Mannock. Le capitaine de 25 ans abattu par des tirs anti-aériens venait de remporter sa 47ème victoire quelques heures auparavant. Donnybrook est le quartier dublinois dans lequel George McElroy voit le jour. Le jeune adulte se porte volontaire pour le front dès les premiers jours du conflit. Deux mois plus tard, en octobre, McElroy foule le sol continental au sein de la section de cyclistes motorisés du Royal Engineers dans lequel il officie en qualité de sous-lieutenant. Gravement atteint par les gaz, il retourne sur son île irlandaise natale afin de s’y rétablir. McElroy se trouve à Dublin lorsqu’éclate le soulèvement nationaliste de Pâques 1916. On lui intime l’ordre de réprimer les rebelles irlandais. McElroy refuse évidemment sans que cela porte atteinte sérieusement à sa carrière. S’il est bien versé dans une garnison éloignée de sa ville natale, le désobéissant n’est pas empêché d’incorporer l’Académie royale militaire de Woolwich, de laquelle il sort avec le grade de sous-lieutenant. Après un rapide passage dans l’artillerie, McElroy est versé dans le Royal Flying Corps, plus précisément au Squadron 40. Edward Mannock fait office de mentor et prodigue ses conseils au nouveau venu. Six jours avant sa propre mort, Mannock entreprit McElroy des périls de voler suffisamment bas pour être la cible des armes anti-aériennes. Aucune de ces deux têtes brûlées ne semblait disposée à la prudence…
Chose rare très certainement due à son rang de parlementaire, il est inhumé à côté de son frère dans le cimetière communal de Néry dans l’Oise alors qu’il est tué à l’ennemi à plus de 170 kilomètres au Nord. Oswald Cawley naît à Manchester en 1882 dans une famille aisée qui fit fortune dans le commerce de coton. Il commence sa formation scolaire dans l’école de Rugby dans le Warwickshire, cité natale de l’ovalie, mais, à la différence de nombre de ses compatriotes, Oswald ne semble guère manifester une passion dévorante pour le jeu à XV. Ce sera ensuite Oxford dont il sort diplômé avant d’intégrer la société familiale et devient le bras droit du paternel. Très investi dans des associations philanthropiques, le jeune homme parcourt le monde du Japon aux Etats-Unis et de l’Inde en Allemagne. D’aucuns diraient que cet enfant est né avec une cuillère en argent dans la bouche, de même que ses trois frères. Certes privilégiés, les Cawley n’en sont pas moins pétris de sens du devoir. Oswald Cawley se porte volontaire pour un régiment de cavaliers dès le début du conflit et pleure la mort d’un frère dès septembre 1914, bientôt suivi de la disparition d’un second douze mois plus tard. Oswald combat en Egypte lorsque son unité, affaiblie en homme, est fondue au sein du 10ème bataillon du régiment royal d’infanterie légère du Shropshire qui poursuit la lutte en Palestine. Son député de père anobli et appelé à la Chambre des Lords laisse un siège vacant à la Chambre des Communes. On demande au fils Oswald de se présenter à la députation à la suite de son père, ce que le fils accepte à la condition qu’il ne quitte guère le front. « Union sacrée » à la britannique oblige, Oswald est candidat unique dans la circonscription. Le voilà désormais député du Parti libéral. Profitant d’une permission à Londres, il siège une unique fois cintré de son uniforme de lieutenant. De retour en Flandre, le député est promu capitaine. Le 22 août, à proximité de Merville, le bataillon d’Oswald Cawley subit un feu nourri de la part de l’ennemi. Le guet-apens tendu ne laisse aucune échappatoire. D’abord meurtri au bras, Oswald Cawley retourne au combat après un simple pansement. Il est atteint cette fois-ci par un projectile à la mâchoire. Le troisième des quatre frères Cawley meurt à 36 ans. Son corps est introuvable. Activement recherchée, sa dépouille sera identifiée qu’un mois plus tard.
Pour chacun de nos héros foudroyés par les « Orages d’acier », Ô combien serait-il rébarbatif de dresser la litanie des décorations et médailles légitimement gagnées au combat. Alors, au contraire, signalons que Louis Bennett Jr, lui, est mort sans avoir curieusement reçu la moindre distinction, si ce n’est que l’aérodrome de sa ville natale de Weston dans l’Etat de Virginie-Occidentale est baptisé à son nom. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir brillé en sa qualité de pilote. Bien que de nationalité américaine, c’est au Canada que Bennett Jr intègre le Royal Flying Corps. Son entraînement à Toronto terminé, Louis franchit l’Atlantique et arrive sur le sol français avant de rejoindre l’Artois. Désormais promu au grade de Premier lieutenant du Squadron 40, comme ses prédécesseurs Mannock et McElroy, Louis Bennett Jr entame une fulgurante série le jour de l’Assomption 1918. En l’espace de 25 sorties aériennes, le pilote américain abat neuf ballons d’observation allemands remplis d’hydrogène et hautement inflammables. Le 24 août, soit neuf jours après le début de sa prise de fonction, il en dégonfle encore deux. Mais à l’image des cibles immobiles auxquelles ses rafales mettent le feu, l’avion de Bennett s’enflamme après qu’il est touché par un tir anti-aérien. Le virginien s’écrase à Marquillies mais survit au choc et est semble-t-il secouru par l’ennemi. Transporté à l’hôpital militaire allemand de Wavrin, il y décédera de ses blessures. L’aviateur de 23 ans reçoit les honneurs militaires de la part de l’ennemi et est inhumé dans le cimetière militaire allemand du village.

Le 26 août, sur la plage de Berck, un brigadier général disparaît. Ainsi qu’il l’avait annoncé à ses hommes, l’officier souhaitait se baigner. En effet, son chauffeur l’a bien conduit jusque la plage. Le brigadier entre dans l’eau et ne reparaît plus jusqu’à ce que la mer recrache son cadavre. Si la version officielle de la mort est noyade par accident, bien des zones d’ombre entourent la mort du général Edgar William Cox. En réalité, nombreux sont ceux qui songent davantage à un suicide. Depuis plusieurs jours, Cox, déjà affaibli par la terrible épidémie grippale, dite grippe espagnole, montrait des signes de très grandes anxiété et nervosité, ainsi que ne manquait pas de le constater son entourage subordonné. Le futur romancier à succès Howard Spring témoigne que Cox fumait cigarette sur cigarette et ne mangeait ni ne dormait quasiment plus. Le brigadier semblait très perturbé par le mois de juillet qui faillit être décisif dans la tournure de la guerre. L’offensive allemande de très grande envergure, démarrée au printemps, est un succès. En seulement quatre mois, on estime à 850.000 le nombre de soldats alliés tués, blessés ou capturés. Les lignes françaises et britanniques sont enfoncées sur de grandes distances et laissent des passages béants. Jamais les forces armées allemandes ne sont aussi proches de Paris, davantage qu’en septembre 1914 avant que la Bataille de la Marne ne fixe le front au Nord et à l’Est de la capitale. En sa qualité d’officier d’état-major du renseignement militaire, Cox est personnellement impliqué dans le corps décisionnaire chargé de contrecarrer l’offensive allemande. L’avancée des troupes du 2ème Reich semble irrésistible et irréversible. Plus pour longtemps… Deux semaines après la noyade de l’officier à 36 ans, les troupes de l’Empire refluent. Né dans le centre de Londres en 1882, Edgar William Cox embrasse la carrière militaire dès son plus jeune âge dans les Royal Engineers avant d’être détaché dans plusieurs dominions britanniques en Afrique en vue de participer à la fixation des frontières de la Sierre Leone et de l’Angola. Revenu en Angleterre, après un passage au Kenya, il est nommé capitaine et affecté au service de renseignement du War Office au sein duquel il entame la guerre.
Erich Cohn naît à Berlin en 1884 dans une famille juive. Le jeune homme se destine initialement à des études de littérature et d’histoire de l’art avant de changer radicalement de voie. Il étudie finalement la médecine et sera praticien. Erich Cohn nourrit également une passion pour le jeu stratégique des échecs qu’il pratique assidument pendant son enfance et ne délaisse aucunement désormais devenu adulte. A 18 ans, le jeune homme remporte son premier tournoi dans sa ville natale et multiplie victoires, podiums mais aussi places d’honneur et grosses contre-performances dans toute la Germanie, de Berlin à Hanovre, de Cobourg à Breslau en passant par Nuremberg, de Barmen à Munich. Le médecin-joueur est également l’invité de nombreuses compétitions internationales qui le conduisent à Ostende, Carlsbad et Vienne en Autriche-Hongrie mais encore Saint-Pétersbourg, Stockholm engin en 1912 qui semble constituer son dernier tournoi avant le déclenchement de la guerre. On ne sait que peu de choses d’Erich Cohn pendant la Première Guerre mondiale, si ce n’est, qu’en sa qualité de médecin, il sert dans les services de la Croix-Rouge allemande. Il meurt à 34 ans dans des circonstances inconnues le 28 août et est inhumé dans le cimetière allemand de Neuville-Saint-Vaast.
Cette fois-ci, l’obus qui vient d’éclater juste au-dessus de lui ne laisse aucune chance. Mort à l’âge de 45 ans, le député Alexander Thynne est le dernier des 43 parlementaires britanniques morts au combat pendant la Première Guerre mondiale. Et il combattit vaillamment dès 1915, le temps de parfaire sa formation à l’Académie royale militaire de Sandhurst l’année précédente. Le major d’infanterie Thynne débute sur le front au sein du Royal Wiltshire Yeomanry dont le commandement est assuré par son frère. Alexander est ensuite versé dans le régiment de cavalerie du 8ème bataillon du Royal Gloucestershire Hussars. Tandis qu’il commande son bataillon dans la Somme, Thynne est très grièvement blessé au torse, au poumon droit et au foie. Parti se remettre d’aplomb en Angleterre, c’est un miraculé qui revient de convalescence pour prendre le commandement d’un autre bataillon, en l’espèce le 10ème bataillon du Royal Worcestershire Hussars avant de revenir dans son corps initial du Royal Whiltshire. Thynne est blessé une seconde fois, désormais au bras gauche par des débris d’obus. Nouveau départ en convalescence et le député-soldat demande son retour au front. La troisième blessure est mortelle… Né en 1873, le jeune Alexander poursuit ses études à Winchester avant d’intégrer le collège puis l’université d’Oxford. Il participe à la seconde Guerre des Boers pendant laquelle il prend part à de nombreux combats. Demeurant en Afrique, Alexander Thynne est nommé lieutenant-gouverneur de la colonie de la rivière Orange, territoire nouvellement annexé au détriment des Afrikaners. Un détour par la Somalie où il couvre la révolte des derviches pour l’agence de presse Reuters et Thynne est de retour en Angleterre. Le baroudeur nourrit des ambitions politiques d’abord contrariées. Battu à plusieurs reprises, il remporte enfin un siège de député, sous l’étiquette du Parti conservateur, dans sa circonscription de Bath en 1910.
Il fut un temps où la ville de Kaliningrad était allemande et portait le nom de Königsberg. C’est dans cette riche cité historique que Fritz Rumey naît en 1891. Le jeune prussien intègre l’armée avant le déclenchement du conflit. Aussi est-il simple fantassin au sein du 45ème régiment prussien d’infanterie, unité avec laquelle il débute le conflit avant d’être versé dans le 3ème régiment de grenadiers qui est déployé sur le front Est. Fritz Rumey manifeste le vœu de quitter l’armée de terre pour celle des airs. Il y parvient en 1915. Rumey est observateur aérien pendant deux années avant de saisir l’opportunité d’intégrer le corps d’élite de l’aviation : la chasse. Le chasseur de l’Empire aligne les victoires. En juin 1918, il savoure sa 25ème victoire homologuée lorsqu’il renvoie au sol un appareil canadien. Cette victoire est le prélude d’une série noire à laquelle le pilote ne prête pas attention. Il est certes blessé le 25 aout mais qu’importe puisque le pilote continue d’engranger les succès aériens. Rumey reçoit une seconde blessure le 24 septembre, le jour de son 45ème exploit. Aucune importance et à peine est-il pansé qu’il redécolle avec son appareil trois jours plus tard. Le 27 septembre, il se peut que l’aviateur allemand soit encore trop diminué. Un aviateur sud-africain percute Fritz Rumey en plein vol. Ce dernier trouve l’énergie de s’extirper du cockpit pour se jeter dans le vide au dessus de Neuville-Saint-Rémy. Mais le parachute ne s’ouvre pas. Fritz Rumey s’écrase au sol. Il avait 27 ans.

Le canal du Nord est le théâtre d’âpres combats en ce début d’automne 1918. Treize divisions alliées font face à une armée allemande qui subit des revers mais ne se démobilise pas. Le 29 septembre, au deuxième jour de la bataille, le corps de Joseph Standing Buffalo est meurtri par plusieurs blessures tandis qu’il combat dans le secteur Sud d’Arras en un lieu non identifié. Seulement sait-on qu’il est inhumé au cimetière britannique de Ficheux. Le matricule 2413310 du 78ème bataillon du Manitoba Regiment est mort à l’âge de seulement 19 ans. Une légende tenace veut que la tombe blanche 4B34 du cimetière de Ficheux recueille la dépouille du petit-fils de Sitting Bull, mythique chef des Lakotas Hunkpapas, que chacun connaît davantage sous le nom Sioux. Il fallut attendre un siècle pour qu’en 2018, le dernier arrière-petit-fils vivant du « Taureau assis » annonce, péremptoire, que les petits-fils de Sitting Bull, en aucun cas, ne purent prendre part au conflit du fait de leur trop jeune âge. Qui est alors Joseph Standing Buffalo ? Né en 1897 dans le Saskatchewan, il est le fils d’un autre respectable chef Sioux, en la personne de Julius Standing Buffalo. En 1917, il s’enrôle dans le 78ème bataillon du corps expéditionnaire canadien. Le jeune sioux ne reverra plus les plaines herbacées de sa Nation indienne.
Le mouvement de Schoenstatt tire son nom de la ville homonyme située en Rhénanie-Palatinat. La communauté apostolique est fondée en octobre 1914 et regroupe en son sein des laïcs et des clercs. Joseph Engling compte parmi les premiers membres du mouvement. Il naît à Prossitten, village allemand de Voïvodine désormais en territoire polonais et intègre à l’adolescence la Société de l’Apostolat catholique près de Coblence qui prépare ses étudiants au sacerdoce. Sa vocation de futur prêtre ne dispense pas le préfet de la Congrégation mariale de ses obligations militaires. Joseph est bon pour le service en 1916 et se voit contraint de mettre de côté ses études théologiques. Sur le front, le jeune allemand peine à s’attacher aux choses terrestres. Sa foi s’impose en tous domaines bien qu’il éprouve certaines difficultés à concilier son vœu de sainteté avec les réelles et dures impériosités de la guerre. Le 3 juin 1918, il offre symboliquement sa vie à Marie, Mère de Dieu, qu’il prenait soin d’appeler sa « chère petite mère ». Quatre mois et un jour plus tard, le 4 octobre, Joseph Engling est tué à l’ennemi à proximité de Cambrai. Le jeune homme de 20 ans meurt sans avoir été ordonné pour le plein exercice de la mission évangélique qui guidait sa vie. Nul martyr, la communauté de Schoenstatt voit en Joseph le pieux un modèle et bien que le processus de sa canonisation, amorcé en 1952, ait été stoppé en 1964, à cause de querelles entre le mouvement de Schoenstatt et la Société de l’Apostolat catholique, il est reconnu comme le premier saint de la communauté apostolique de Schoenstatt.
Le 11 octobre, une colonne d’assaut de la 4ème brigade d’infanterie du corps expéditionnaire canadien progresse vers l’objectif lorsqu’ils sont pris sous un feu nourri d’une mitrailleuse allemande. Il convient de nettoyer l’endroit avant de pouvoir reprendre la marche. Dix soldats se portent volontaires et parviennent à neutraliser les mitrailleurs avant de retourner l’arme automatique vers son propre camp et ainsi couvrir la troupe canadienne qui réussir parvient à pénétrer le village-objectif d’Iwuy. Dans la foulée, les dix volontaires éliminent les servants d’une seconde mitrailleuse et capturent onze allemands dont l’un est officier. Iwuy est libéré. Le commandant place ses hommes dans le village avant de retourner vers l’arrière quémander du renfort afin de consolider la position nouvellement conquise. Cet officier est lieutenant et s’appelle Wallace Lloyd Algie. Parvenu à l’arrière, il retourne vers ses hommes en avant-poste lorsqu’il s’écroule mortellement touché. Né en Ontario en 1891, Algie naît dans une famille de la classe moyenne supérieure. Le père est médecin, le fils se dirige vers le secteur bancaire. Parallèlement à sa carrière professionnelle, il remplit ses obligations militaires. Intégré initialement au Queen’s Own Rifles, Wllace Lloyd Algie se destine à une unité combattante, à l’instar de son frère. Accueilli au sein du 95ème bataillon, il est ensuite versé au sein du 20ème, appelé à tenir ses positions sur le secteur de Cambrai. Iwuy est sur la ligne de front. Le village doit être libéré. Il sera son tombeau.

S’il naît dans le comté de Northumberland en Angleterre, Hugh Cairns émigre à l’âge de 15 ans au Canada, plus précisément dans le Saskatchewan. L’adolescent sera très vraisemblablement plombier mais, en bon anglais, il est doué ballon au pied. Alors intègre-t-il l’équipe de football de sa ville d’adoption, Saskatoon. Soudure ou rectangle vert, le beau Hugh choisit finalement la guerre. Le jeune sergent du 46ème bataillon du South Saskatchewan n’est âgé que de 18 ans lorsqu’il foule à nouveau le sol de son continent natal. Courageux, Hugh Cairns s’illustre à l’occasion des terribles combats meurtriers de la crête de Vimy en avril 1917. Le jour de la Toussaint 1918, la cité hennuyère de Valenciennes est le théâtre de violents combats de rue lorsque la section de Hugh Cairns est prise à partie par une mitrailleuse. Armé d’un fusil automatique, Cairns part à la rencontre des tireurs et neutralise les cinq hommes l’un après l’autre, s’emparant même de l’arme. A peine la colonne reprend-elle sa progression qu’elle est nouveau stoppée selon la même configuration. De nouveau, le sergent anglo-canadien attaque seul la position allemande. Le palmarès est à peine croyable : douze soldats allemands auraient été abattus, 18 autres faits prisonniers, deux autres mitrailleuses réquisitionnées. Le peloton canadien est stoppé une troisième fois dans les rues valenciennoises. Encore des morts, des armes prélevées et soixante allemands se rendent. Mais Hugh Cairns a entre-temps reçu une balle dans l’estomac. Il décède de sa blessure le 2 novembre âgé de 21 ans. La ville de Valenciennes honore le sergent Cairns d’une avenue en 1936, à quelques mètres de la place du Canada que le batailleur n’aura jamais revu.
Novembre 1918. Chacun sent bien que le conflit entre dans sa phase finale. Secrètement, tous les belligérants entrevoient, espèrent davantage, de douces retrouvailles avec leurs familles, bien-aimées et enfants. A Ors, le Second Manchesters Regiment campe dans la maison forestière, à proximité du canal Sambre à Oise. Afin de sécuriser la zone, il est nécessaire de s’emparer de la rive droite du cours, encore tenue par les Allemands. 4 novembre, 6 heures du matin, le Soleil n’est pas encore levé tandis qu’un épais brouillard inonde le canal et son pourtour. Le moment est idéal pour dresser des passerelles de flotteurs et atteindre l’autre rive. Mais les Allemands conservent toute leur vigilance et le brouillard se lève subitement, exposant dangereusement toute une compagnie. C’est un carnage. Parmi les Britanniques fauchés, le poète anglais Wilfred Owen que beaucoup considèrent comme le plus grand poète militaire de la Première Guerre mondiale. Wilfred Owen naît à quelques kilomètres de la frontière entre l’Angleterre et le Pays de Galles en 1893 et est l’aîné de sa fratrie. 1903, il est en vacances et seulement âgé de dix ans lorsqu’il découvre la poésie. Owen étudie à l’université de Londres avant de s’installer de l’autre côté de la Manche comme professeur d’anglais, d’abord en Occitanie puis au Pays Basque jusqu’en septembre 1914. La guerre déclarée, il est temps pour le poète homosexuel de rejoindre l’Angleterre. Wilfred Owen est incorporé dans la curieuse unité des Artists’ Rifles, composée d’artistes volontaires pour le front. Le sous-lieutenant est ensuite versé au Manchester Regiment et connaît les effroyables combats de la Somme à l’occasion desquels, blessé par un obus, il demeure quasiment inerte et en état de commotion cérébrale, plusieurs jours durant, sur un talus, le partageant avec un camarade de combat dont le corps est déchiqueté. Evacué en Ecosse, Wilfred Owen réintègre son unité en octobre 1918 et trouve une cruelle une semaine seulement avant que ne sonne l’armistice. Sa mère aurait été informée de la mort de son fils en même temps que les cloches annonçaient la fin du conflit. « What passing bells for those who die as cattle ? »…

Comme son compatriote John McCrae, comme Ernest Psichari, Charles Péguy, comme Alain-Fournier, Louis Pergaud, comme Guillaume Apollinaire, Wilfred Owen inscrit son nom au Panthéon sanglant des écrivains sacrifiés. Au sein de cette colonne macabre, ce sont 9,7 millions de jeunes hommes, toutes nationalités confondues qui marchent à leurs côtés, constituant la grande armée des ombres. On estime à 8,9 millions le nombre de civils qui payèrent le conflit de leur vie.
De nos jours, les vieux quarantenaires, ceux embrassant davantage le demi-siècle que les autres qui viennent d’enterrer leur troisième décennie, conservent très certainement le souvenir des programmes, souvenirs ou hommages c’est selon, qui composaient immanquablement les grilles de programmation des trois chaînes de télévision chaque 11 novembre. Peut-être même les jeunes enfants que nous étions, éprouvions quelque lassitude à la vue de ces programmes. Si dans les années 1980, nombre de familles ne conservaient déjà plus de survivant, civil ou militaire, de la Grande guerre, le souvenir demeurait encore vivace et pieux. Que reste-t-il au Troisième millénaire du grand suicide européen de 1914-1918 ? Qu’avons-nous retenu ? Rien. Pas même l’instinct de survie d’Europe qui se repaît de sa descente aux Enfers…
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Le miroir du Nord, 2022. Dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine