Eric Simoni est le président du mouvement indépendantiste corse Corsica Libera. Bien que quasiment disparu des radars politiques à l’Assemblée de Corse, le mouvement reste très actif sur le terrain grâce à socle militant constant et qui mise sur la jeunesse.
Le week end prochain marque le retour des Ghjurnate Di Corti (journées de Corté). Eric Simoni revient sur cette grande manifestation mais aussi sur le climat très tendu entre les Corses et l’Etat Français particulièrement depuis l’assassinat d’Yvan Colonna en mars dernier.
Pouvez vous vous présenter ainsi que l’origine des journées de Corté?
Corsica Libera est le mouvement historique issu de la lutte de libération nationale de la Corse. Son objectif est l’indépendance nationale dans le cadre d’une Europe des peuples. Officialité de la langue, statut de résident, statut fiscal, dévolution du pouvoir législatif, amnistie des prisonniers politiques sont des revendications qui pourraient constituer la base d’un compromis historique en vue de la résolution pacifique et démocratique d’une situation conflictuelle opposant le peuple corse à l’Etat français depuis trop longtemps.

Les journées de Corti, quant à elles, sont organisées par le mouvement de libération nationale depuis 1981. Elles constituent un lieu d’échanges, de débats et de convergences fortes avec d’autres luttes de libération de par le monde, chacune d’entre elles ayant ses spécificités propres, mais, également, des similitudes avec la nôtre, notamment en ce qui concerne les mécanismes oppressifs auxquels elles sont confrontées. On peut dire que les Ghjurnate internaziunale demeurent un des plus importants moments de la vie politique corse, car elles permettent également de délivrer un message, une analyse, de dégager des perspectives qui rythmeront l’actualité pour l’année à venir et souvent au delà. Elles synthétisent également les orientations précises de notre mouvement sur les sujets urgents qui préoccupent les Corses, et sur les réponses que nous pouvons y apporter.
Le programme est dévoilé officiellement lundi 1er. Quelles sont les nouveautés? Quels sont les messages principaux qui seront diffusés?
Cette édition 2022 sera celle du retour des Ghjurnate. Après l’impossibilité, du fait de la situation sanitaire, de tenir l’événement en 2020 et l’organisation d’une Ghjurnata singulière au mois de septembre 2021 avec une présence internationale assurée en visioconférence, c’est sous un format traditionnel qu’auront lieu les débats et soirées culturelles sur le site de la citadelle de Corti les samedi 6 et dimanche 7 août.
Pour honorer cette 40e édition – les Ghjurnate n’ayant pu se tenir en 1996 et 2020 pour des raisons bien différentes – Corsica Libera aura le plaisir d’accueillir des délégations internationales très diverses et de grande qualité. Leur présence témoigne, une fois encore, de leur solidarité à l’égard de la lutte du peuple corse ainsi que de la pertinence à une échelle méditerranéenne, européenne et internationale de la revendication d’accession à la pleine souveraineté.
Les échanges programmés démontreront que le réalisme, le pragmatisme et la modernité politiques se situent de ce côté là de l’échiquier politique alors que l’autonomisme conçu comme un horizon institutionnel indépassable et l’acceptation perpétuelle de liens de dépendance apparaît non seulement comme un projet, à terme, néfaste aux intérêts des peuples mais, pour tout dire, particulièrement hors de saison dans un monde fondé, en toute hypothèse, sur le principe d’interdépendance entre Nations souveraines.
La situation en Corse, suite à l’assassinat d’Yvan Colonna était très tendue en mars dernier. S’est elle apaisée?
Comment pourrait-elle être durablement et véritablement apaisée? Enfumage, cynisme et velléités répressives semblent toujours prévaloir du côté de Paris. Quatre mois après l’assassinat dans une prison française d’Yvan Colonna et quelques jours après la reprise des discussions avec Paris, les Ghjurnate seront précisément l’occasion de poser à la fois la question des modalités du rapport de force populaire et de préciser le contenu de ce que nous concevons comme un véritable processus historique. Sur le premier aspect, nos frères basques ont certainement montré l’exemple en organisant le 23 juillet dernier une grande journée d’action et de désobéissance civile. Depuis plusieurs années, Corsica Libera a appelé le mouvement national à s’engager dans un rapport de force populaire et institutionnel face au mépris du fait démocratique par Paris. Cette option qui n’a pas rencontré l’adhésion de la majorité au pouvoir en Corse jusqu’alors conserve toute sa pertinence.

Quant au contenu d’une hypothétique évolution statutaire deux chemins sont praticables : le premier consiste à opérer un rafistolage du statut particulier de la Corse et donc de se situer dans une logique de décentralisation administrative qui ne changera rien de fondamental au risque de disparition du peuple corse sur sa propre terre. Cette voie est à l’évidence une impasse pour la revendication nationale corse. Elle ne nous intéresse pas. La seconde consiste à se placer véritablement au niveau de l’Histoire et à s’inscrire dans une logique de résolution d’un conflit de plusieurs décennies. Elle passe par la reconnaissance des droits nationaux du peuple corse.
En quoi le gouvernement français ne répond pas aux attentes des Corses selon votre mouvement Corsica Libera?
Lors d’une dernière interview donnée à Corse-Matin Gérald Darmanin, ministre français en visite dans notre pays déclarait : “Les Corses sont des Français”. Ce n’est pas la première fois qu’un haut représentant de l’Etat français de passage en Corse se livre à ce curieux exercice d’auto suggestion, plus souvent connu sous le nom de « méthode Coué » qui consiste à ancrer en soi de manière quasi hypnotique une idée, en pensant en faire une réalité.
Il est évident que si la Corse était, vraiment – autrement que d’un point de vue aussi administratif qu’arbitraire et contestable – une région française, cet exercice ne s’imposerait pas. Ce type de procédé peut sûrement fonctionner lorsqu’il s’applique notamment à l’approche psychosomatique de certaines pathologies. Mais il y a peu de chances que cela ne mette pas, au contraire, en lumière l’aspect contradictoire, obsolète, et illégitime d’une démarche qui vise, dans un cadre politique bien précis, à nier les évidences et à opposer une fin de non recevoir à des aspirations qui resteront incontournables car issues, elles, de réalités humaines dont la négation même a quelque chose de criminel.
Nous sommes bien deux peuples différents, avec des imaginaires, des histoires, et des héros nationaux différents. C’est le refus cynique par l’Etat français de reconnaître cette réalité qui est la source de tous les conflits et de tous les drames. Par ailleurs, le déni permanent du fait démocratique, ainsi que le refus par les gouvernements successifs d’accorder aux Corses les marges de manœuvres qu’ils ont à plusieurs reprises validées par leurs votes, conduit à une situation qui mériterait, pour le coup, un arbitrage international en vue d’un véritable processus de décolonisation.
Un dernier mot pour nos lecteurs principalement Flamands
L’aveuglement de l’appareil d’Etat dans le « dossier corse » est pathognomonique: il est le symptôme caractéristique d’une sclérose centralisatrice héritière non seulement du jacobinisme mais aussi d’une Histoire qui a consisté à créer une nation à partir d’un Etat, d’une abstraction, sur les décombres de nations réelles et historiques. Cette démarche n’a pas seulement conduit à des aberrations comme faire apprendre à des peuples d’outre mer ou à des Corses que leurs ancêtres étaient gaulois; cela a également consisté à administrer à l’intérieur même de l’hexagone des citoyens aux caractéristiques sociologiques, culturelles, et historiques différentes de façon identique avec cette frénétique volonté d’uniformiser le paysage humain. Et à appliquer à des gens aux besoins ou dans des situations différentes, les mêmes règles, « de Dunkerque… à Tamanrasset. » On aboutit ainsi, immanquablement, à créer de l’inégalité… au nom de l’égalité. Et cela finit toujours mal.
Aussi, la lutte du peuple corse pour la reconnaissance de ses droits nationaux, loin de traduire un réflexe de repli sur soi, exprime la volonté de participer au monde en lui apportant, modestement, la contribution de ce que nous sommes. C’est un message qui a quelque chose d’universel et auquel les flamands, quelle que soit leur sentiment d’appartenance prioritaire, peuvent être sensibles.
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Le miroir du Nord, 2022. Dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine