Ecrire la Première Guerre mondiale. Jeter des mots sur l’indicible. Ils sont des centaines à avoir chroniqué leur guerre. Dans toutes les langues, sur tous les fronts, sous toutes les formes. Des journaux de guerre qui chroniquent le quotidien. Ainsi Ernst Jünger, T.E. Lawrence, Louis Barthas, Pierre Mac Orlan… Des romans, ils sont plus nombreux à s’y être essayé. Walter Flex, Erich Maria Remarque, Ernest Hemingway, Louis-Ferdinand Céline, Blaise Cendrars, Pierre Drieu la Rochelle, Maurice Genevoix, Jean Giono, Emilio Lussu et des centaines d’autres…

Henri Barbusse est de ceux-là. D’ascendance cévenole, il naît à Asnières en 1873. Pourtant pacifiste, l’écrivain est déjà âgé de 41 ans lorsqu’il se porte volontaire, malgré une affection pulmonaire, pour le front et intègre le 231 e régiment d’infanterie en décembre 1914. Le fantassin Barbusse gagne, l’année suivante, le petit village de Souchez, niché aux pieds de la colline de Notre-Dame-de-Lorette qui abritera bientôt la plus grande nécropole militaire française. Depuis le début son incorporation, le soldat pacifiste griffonne des notes sur son carnet dans lesquelles il évoque sa condition de poilu et le quotidien de ses camarades. En convalescence durant l’année 1916, Henri Barbusse entreprend d’organiser ses notes en vue de la rédaction de son cinquième roman. Le Feu paraît d’abord sous la forme d’un feuilleton dans le quotidien L’Œuvre puis est publié chez Flammarion. Aussitôt lauréat du Goncourt 1916, il devient l’un des plus célèbres romans de la littérature antimilitariste.
L’expérience de Barbusse à Souchez constitue le point de départ du 51 ème volume des Mémoires de la Commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais. Confiée à l’historien Yves Le Maner, la rédaction de l’étude s’attache à confronter le roman à la réalité de l’Histoire. Car si Le Feu de Barbusse fut un immense succès de librairie, le roman fut exposé à la critique et au feu nourri de Jean Norton Cru, ancien poilu et exégète en chef de la littérature combattante du premier conflit mondial. D’autres écrivains-guerriers décrivirent le même secteur dans leurs récits. Ainsi Roland Dorgelès dans Les Croix de bois mais encore Jean Galtier-Boissière dans Un hiver à Souchez pour ne citer que les plus connus.

S’appuyant sur l’ensemble des sources littéraires disponibles sur le secteur, Yves Le Maner les confronte à une analyse en profondeur des documents issus des archives militaires. Aucunement un ouvrage de critique littéraire, l’étude constitue une brillante histoire de la troisième bataille d’Artois, peu avare en vies humaines et dont les offensives militaires françaises s’avèrent d’un intérêt stratégique faible, pour ne pas écrire inutile.
L’album de format A4 propose une riche iconographie et de nombreuses cartes militaires qui
renseignent au mieux le lecteur. Vendu au prix de 24 euros, il constitue une lecture nécessaire pour qui s’intéresse à la Première Guerre mondiale en Artois et dans les Pays-Bas français.
LE MANER Yves, Le Feu de Barbusse et les récits de la guerre en Artois. Souchez 1915, Aire-sur-la-Lys, Ateliergaleriéditions, Mémoires de la Commission départementale d’histoire et d’archéologie du Pas-de-Calais, tome LXI, 2021, 175 p.
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Le miroir du Nord, 2022. Dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine